Originally published in Realites, hebdomadaire Independant, N° 782, Semaine du 21 au 27/12/2000, Tunis <http://www.tunisieinfo.com/realites/782/regard.html>.


Science, nouvelles technologies et création artistique

Par Hakim Ben Hammouda

Le développement des nouvelles technologies a été depuis quelques années à l'origine de l'émergence de nouvelles formes
d'expression artistique. Ainsi, les ordinateurs sont de plus en plus utilisés pour inventer et développer de nouvelles
manières d'être et de créer.

Plus récemment, les produits des manipulations transgéniques ont été mis à contribution, comme c'est le cas de cette lapine
appelée Alba, qui depuis quelques mois a fait la Une des revues scientifiques et artistiques. Cette lapine est l'œuvre de Eduardo
Kac, professeur d'art et de technologie à Chicago et qui se dit d'ores et déjà "artiste transgénique".

Il faut dire que cette œuvre d'art est le résultat du travail de scientifiques et de biologistes dans leurs efforts d'exploration des
mécanismes du vivant. Pour réaliser leurs recherches, les biologistes introduisent dans le génome des animaux un gène codant
pour une protéine fluorescente appelée green fluorescent protein (GFP).

Cette protéine contient des éléments qui émettent des lumières lorsqu'ils sont activés par des ions. Cette opération permettra par la
suite aux biologistes d'étudier le comportement des différents types de gènes. En effet, le gène introduit dans un organisme animal
ou végétal suscite la réactivation du GFP et peut être ainsi observé avec une lumière ultraviolette.

Le GFP a été depuis introduit par les spécialistes chez différents animaux comme les souris, les poissons, les mouches, les vers à
soie...Ensuite, à l'aide de la lumière ultraviolette, les "artistes transgéniques", comme Eduardo Kac, ont pu, en dépit des
protestations des associations de défense des animaux et des scientifiques qui ont été à la base de l'invention de ce procédé,
produire des photos qui ornent les revues réputées d'art.

L'attrait de la technique et des machines n'est pas nouveau dans l'art moderne. En effet, dès les années 20, le constructivisme
russe, avec des artistes comme Tatline ou Rotchenko défendait un art fonctionnel au service de la société et du peuple. Certes,
une préoccupation éloignée de celles d'autres artistes russes comme Malévich ou Kandinsky, rattachés à une conception plus
subjective de l'art.

Mais ces artistes étaient influencés par la technique et croyaient que les nouvelles technologies pouvaient aider à l'émergence
d'une nouvelle utopie à travers une alliance forte des arts, de l'architecture et de la science. Une utopie qui n'était pas finalement
éloignée du modernisme bureaucratique des nouveaux maîtres du Kremlin de l'époque et dont l'illustre représentant Vladimir
Illitch avait indiqué un jour que "Le socialisme, c'est l'électricité et les Soviets".

Un regard positif et faisant de la technique un moyen de libération que nous retrouverons dans les années 60 dans un nouveau
courant appelé l'art cinétique, qui a développé des sculptures ayant des parties mobiles et qui peuvent se mettre en mouvement
manuellement ou à l'aide de moteurs. Un courant qui a été influencé par Marcel Duchamp et sa fameuse "Roue de bicyclette" qui
était posée sur un tabouret et qu'on pouvait par conséquent faire tourner à l'aide d'un mouvement de la main.

Ces mouvements ont tiré profit du développement rapide de la technique pour, comme "l'artiste transgénique", créer de nouvelles
expressions artistiques. Or, ces courants ont parfois, sans le vouloir, développé une vision apologétique de la technique et de sa
capacité à résoudre les problèmes que nous affrontons. Une conception qui sera de plus en plus remise en cause par les critiques
de la modernité qui mettent l'accent sur les ravages de la technique notamment dans le domaine militaire, nucléaire ou
écologique. Des critiques qui, sans remettre en cause la fascination exercée par la technique sur les artistes, ont fini par contenir
les rapprochements entre l'art et la science.


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